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(FR)
Le paysage a été créé par l’œil humain, il s’est structuré et a varié au fil des siècles, de l’invention de la perspective au fond vert du cinéma des dernières décennies. La nature dévoilée, scrutée ou masquée, son potentiel de construction et de reconfiguration traversent l’ensemble de mon travail vidéo et photographique. À quel moment un paysage se révèle et à quel moment cesse-t-il d’exister ? Lorsque le panorama se refuse à nous à cause du noir ? Lorsque la vue disparaît derrière la brume ? Derrière la griffure des branchages ?
Les forêts infinies, les grottes gardées ou les tunnels abandonnés, les glaciers sombres et les eaux grises sont des territoires que j’arpente et que je redécouvre, les yeux grands ouverts, mais à travers un voile d’obscurité. La nuit et la vie invisible qui l’habite constituent mon terrain de création privilégié. Elle me permet de creuser des trous dans les éléments naturels, d’en redessiner les contours et les limites, de les peupler de récits et de gestes à travers les personnages qui les sillonnent : un homme remontant péniblement une rivière, des danseuses se parant des scintillements de leurs mouvements, une jeune fille évoquant d’anciens temps, une conteuse délivrant des histoires de cannibales et de colères secrètes, une marcheuse dont le corps semble démultiplié par la noirceur de la forêt.
Au milieu de ces ténèbres, seuls résistent le halo d’une lampe, un feu lointain et faible, l’éclat d‘un soleil oublié. Ces motifs lumineux me permettent de révéler la plasticité des images tout en exposant sa fragilité, son instabilité. Mon univers visuel se fonde sur le point de rupture du visible, la question de sa représentation et de sa disparition.
De même que l’obscurité nous laisse dans une incertitude féconde, la figure animale, sa manière opaque d’être vivante et les mystères qu’elle convoque nourrissent fréquemment mes projets plastiques. Dans mes photographies, vidéos et films animés, se côtoient des biches figées dans le temps ou n’existant que pour une poignée de secondes, une tribu de singes regardant notre humanité, une famille et un koala dont les destins sont liés par la nécessité de fuir.
(EN)
The landscape was created by the human eye, it was structured and varied over the centuries, from the invention of perspective to the green background of cinema in recent decades. Nature, unveiled, scrutinized or masked, its potential for construction and reconfiguration go through all of my video and photographic work. When does a landscape reveal itself, and when does it cease to exist? When the panorama refuses us because of the darkness? When the view disappears behind the mist? Behind the scratches of the branches?
Infinite forests, guarded caves or abandoned tunnels, dark glaciers and gray waters are territories that I explore and rediscover, eyes wide open, but through a veil of darkness. The night and the invisible life that inhabits it constitute my privileged field of creation. It allows me to dig holes in the natural elements, to redraw their contours and limits, to fill them with stories and gestures through the characters that crisscross them: a man painfully going up a river, dancers adorn themselves with the twinkling of their movements, a girl evoking ancient times, a storyteller delivering stories of cannibals and secret angers, a walker whose body seems to be multiplied by the darkness of the forest.
In the midst of these darknesses, only the halo of a lamp resists, a distant and weak fire, the brightness of a forgotten sun. These luminous patterns allow me to reveal the plasticity of the images while exposing their fragility, their instability. My visual universe is based on the breaking point of the visible, the question of its representation, and its disappearance.
Just as darkness leaves us in a fertile uncertainty, the animal figure, its opaque way of being alive, and the mysteries it summons frequently nourish my projects. In my photographs, videos and animated films, there are deer frozen in time or existing only for a few seconds, a tribe of monkeys looking at our humanity, a family and a koala whose destinies are linked by the urge to flee.
Félicien Bonniot